Cyanure, balles, coups, noyade... En mettant fin, dans la nuit du 29 au 30 (16 au 17) décembre 1916, à la carrière de Raspoutine, le prince Félix Youssoupoff espérait, non sans candeur, sauver la Russie des tsars gangrenée par la guerre, la misère, la propagande germano-bolchevik, la corruption, l'incompétence, l'égoïsme, un pseudo-mysticisme morbide... - espérait lui fournir du moins l'occasion d'un sursaut rédempteur. Il dut aussitôt déchanter. S'était-il mépris sur l'influence exacte du starets ? Le thaumaturge vantard, roublard, pervers était-il un symbole ou rien de plus qu'un symptôme ? Un piètre aventurier, l'agent conscient ou non de l'ennemi, l'incarnation du Mal ? Autant de questions qui restent aujourd'hui posées. Des versions si rocambolesques du meurtre, des calomnies si injurieuses pour la mémoire des Romanoff martyrs régalaient un public friand de fange qu'en 1927, malgré des répugnances fort compréhensibles, le Prince se fit un devoir de témoigner. Un document poignant - comme les Souvenirs ultérieurs - où, par-delà le fait divers (l'élimination d'un sinistre individu), l'auteur, fût-ce à son insu parfois, donne à méditer sur l'élan suicidaire des sociétés humaines...
|